La boite de Pandore (*) du couple syndical
new-look
par Marc Blondel, ancien secrétaire général de la CGT-FO
(*) Pandore : Ève de la mythologie grecque conçue par Zeus, elle ouvrit la jarre (la fameuse "Boite de Pandore"), où Zeus avait
enfermé toutes les misères humaines. Entre autres la tromperie. Refermant trop tard la boite des
maléfices, dore libéra ainsi tous les malheurs qui y étaient contenus.
De quoi, cette fameuse «déclaration commune» sur la représentativité syndicale, exigée par le gouvernement, pilotée
par le MEDEF, et signée par la CGT et la CFDT, réveiller les mânes des 70 militants syndicalistes qui créèrent la première organisation syndicale interprofessionnelle : la CGT en
1895. De quoi faire sursauter les Griffuelhes, Niel et Pelloutier !
Sur l'autel de la "nécessaire" réactivité des entreprises...
Sur quelle base ose-t-on affirmer que c'est la législation existante sur la représentation syndicale qui bloque le dialogue social? ... En omettant
que le blocage du "dialogue" vient avant tout du refus du patronat français (et il n’est pas le seul) de négocier ?
Lors du congrès constitutif du MEDEF à Strasbourg en 1998, M. Antoine Seillière avait fixé la nouvelle ligne d'horizon entreprenariale visée par la
mutation du CNPF en MEDEF. Rejetant de facto les négociations de branches et interprofessionnelles —qui avaient alimenté le paritarisme durant de longues années, en répondant à
la notion républicaine d’égalité— M. Seillière déclarait qu'il faudrait à l'avenir que les entreprises acquièrent la liberté de négocier à leur (sous entendu "seul")
niveau.
Position ouvertement développée aussi à l’OIT par la délégation des employeurs (Organisation Internationale des Employeurs) qui refuse toute
négociation de nouvelles normes, voire de révision des anciennes, et en demandant l’application souple.
J’ai souvenance d’une confidence de Monsieur Ceyrac, ancien Président du CNPF, indiquant qu’il s’était rallié à la pratique conventionnelle
lorsqu’il avait compris que rien n’était plus grave que l’incertitude et l’instabilité pour le développement des entreprises.
Mme Parisot veut rompre avec tout cela, au nom de la nécessaire réactivité des entreprises, dans le cadre de la mondialisation et de la concurrence
(le libre marché). Au nom de la liberté d’entreprendre sans aucune obligation.
Or ce n’est pas moins de garanties qu’il faut, mais généraliser les garanties sociales.
... la glissade vers le "modèle" américain
Dans notre pays, la "réforme" dont la "Déclaration commune" est porteuse va accroître les disparités entre salariés, soumis au chantage à l'emploi.
C'est déjà en cours au niveau des entreprises (voir la remise en cause des 35 heures et la détérioration des conditions de travail).
Tout syndicaliste ayant quelque peu d’expérience, devrait être conscient de cela. La CFDT, «l’héroïne» des 35 heures (1), en a la démonstration
journalière.
Comment ne pas comprendre que l’attaque est frontale contre le syndicalisme ?
Nos camarades américains sont confrontés à la loi Taft Hartley, qui conditionne l’existence légale du syndicat à une consultation où il faut que
50% du personnel plus 1 se prononce pour sa création; sinon le syndicalisme est illégal, et toute expression des travailleurs est immédiatement sanctionnée. En contre-partie, en
cas de création de syndicat, la négociation dans l’entreprise –mais à ce seul niveau– est obligatoire, les conclusions éventuelles n’étant applicables qu’aux seuls
syndiqués.
C’est ce qui explique qu’aux Etats-Unis certaines entreprises – et elles sont malheureusement nombreuses – n’ont pas de représentation syndicale ;
et le personnel ne bénéficie pas de couverture sociale, à commencer par la sécurité sociale. C’est ce qui justifie enfin l’action d’officines patronales chargées d’initier les
employeurs à la lutte contre l’implantation de syndicats, les entreprises n’hésitant pas à fermer en cas de création syndicale.
Pourquoi alors l’engagement de la CGT et de la CFDT ?
Nous avions connu la CGT moins jésuite
L'objectif visé par les signataires de la "déclaration commune" est le regroupement et la bipolarisation du mouvement syndical.
La CFDT, sans succès, a essayé d’absorber l’UNSA, notamment après le départ de notre organisation de quelques félons. Elle estime –et c’est dans la
logique des choses– qu’avec la laïcité plurielle, arrivera le jour où la CFTC rejoindra l’église mère.
Quant à la CGT, dont nous restons fidèles aux origines, nous l’avons connu moins jésuite.
Tous les militants de la CGT-Force Ouvrière se souviennent de l’alternance des périodes d’insultes et de charme de Frachon, Séguy ou Krasuki : ils
avaient le courage de proposer l’unité, voire la réunification, dans les manifestations ou assemblées, notamment à l’occasion d’actions qu’il nous arrivait de mener en commun.
Certains, chez nous, traitaient les praticiens de l’unité, d’amnésiques.
Bernard Thibault n’a pas ce courage : il sollicite de l’Etat les moyens d’une éventuelle réunification. Manoeuvre d’appareil qui ne trompera que ceux
qui veulent y croire.
Le mouvement syndical est avant tout indépendant, il ne doit son existence qu’à la volonté de la classe ouvrière et à elle seule.
L’Etat et les patrons chez eux, et leurs subsidiaires à la porte : c’est cela le syndicalisme authentique, fidèle à la Charte d’Amiens, le
syndicalisme de la CGT-Force Ouvrière.
Mais qui sème le vent...
Pendant ce temps, le Président de la République, non seulement américanise les rapports sociaux, mais remet en cause les acquis et s’attaque à notre
liberté fondamentale : le droit de grève.
Et faisant preuve d'opportunisme, M. Sarkozy prend la CFDT et la CGT à leur propre jeu. Il attaque les 35 heures, et, plus grave encore, le principe
même de la durée légale du travail, la dérogation étant possible par négociation dans l'entreprise.
La hiérarchie des normes n'existe plus. Tous les coups sont permis.
Le couple syndical new-look livre ainsi les salariés dans l'entreprise au chantage à la délocalisation, voire à la fermeture comme aux Etats-Unis.
Où, pour unique motif... de constitution d'un syndicat (!), certains patrons n'hésitent pas à fermer un établissement, pour en ouvrir aussitôt un autre un peu plus loin
!
Que les apprentis sorciers retirent leurs signatures !
Dans ces conditions, les signataires syndicaux de la "Déclaration commune" se devraient de retirer leur signature.
Ils ont décidé, prenant prétexte des 35 heures, de mobiliser les salariés, jouant ainsi du billard à bande.
J'ai suffisamment pratiqué l'unité d'action, pour savoir qu'elle n'est possible et efficace que sur un objectif clair et partagé. Ce qui n'est pas le
cas.
La confusion en la matière ne peut conduire qu'au désintéressement des salariés.
J’ai pourtant confiance : les salariés ne seront pas dupes. Tôt ou tard, ils réagiront ; et la CGT-FO sera avec eux.
Article 17 de la "Position commune" MEDEF-CGT-CFDT
"Des accords d’entreprise conclus avec des organisations syndicales représentatives et ayant recueilli la majorité absolue des voix aux élections des représentants du
personnel peuvent dès à présent, à titre expérimental, préciser l’ensemble des conditions qui seront mises en œuvre pour dépasser le contingent conventionnel d’heures
supplémentaires prévu par un accord de branche antérieur à la loi du 4 mai 2004, en fonction des conditions économiques dans l’entreprise et dans le respect des dispositions
légales et des conditions de travail et de vie qui en découlent."
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(1) la CFDT s’est octroyé les 35 heures ; et pourtant il faudra qu’un jour je rappelle l’histoire de cette conquête sociale manquée.
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